La
Norvège un pays multiethnique
La Norvège passe souvent pour un pays homogène,
avec une population peu importante et dispersée, qui parle
la même langue et partage, à peu de choses près,
une culture commune. Il n'en reste pas moins que d'un point de
vue ethnique et culturel la Norvège à l'instar
de pratiquement tous les pays du monde a toujours été
composite.
Par
Thomas Hylland Eriksen
Les
groupes de populations samés et kvènes (finnophones)
du nord sont les minorités les plus connues, mais les Tsiganes
et les Rom (groupe apparenté aux Tsiganes) sont présents
de façon permanente dans la société norvégienne
depuis plusieurs siècles. Il ne faut pas non plus oublier
qu'à certaines époques l'immigration en provenance
d'Allemagne, du Danemark, de Suède et de Finlande fut importante
non seulement par son ampleur mais aussi par ses apports, et ce,
dès le Moyen Âge.
Toutefois, c'est seulement au cours des dernières décennies
que les questions relatives aux minorités ethniques sont
apparues à l'ordre du jour de la société
norvégienne. Ceci est dû à plusieurs circonstances,
notamment à la montée en puissance du mouvement
samé ; mais le facteur essentiel est sans doute l'immigration
en provenance de pays non européens. Jusqu'à la
fin des années 1960, il n'y avait pour ainsi dire aucun
immigré d'origine non européenne en Norvège.
En 2000 leur nombre s'élève à un peu plus
de 100 000, ce qui représente environ 2,5 % de la population.
Comparé à des pays comme la Grande-Bretagne ou la
Suède, le nombre d'immigrés en Norvège est
faible, mais l'immigration et la nouvelle situation multiethnique
de la société norvégienne sont malgré
tout au centre du débat social.
Le premier groupe d'immigrés non européens, qui
est aujourd'hui encore le plus important, était constitué
de Pakistanais. Les premiers d'entre eux sont arrivés en
Norvège au titre de « travailleurs invités
» (ainsi les appelait-on alors) en 1969.
Ils furent suivis
en l'espace de quelques années par d'autres habitants des
mêmes régions du Pakistan, souvent des parents. Au
cours de la même période, il existait aussi une immigration
en provenance d'autre pays, principalement de Turquie.
À l'instar de plusieurs autres pays d'Europe occidentale,
la Norvège mit fin à l'immigration en 1975. La situation
économique avait changé et le chômage croissait.
Le besoin urgent de main-d'¦uvre non qualifiée ne
se faisait donc plus sentir. Toutefois, l'immigration se poursuivit
en provenance des mêmes pays au cours des années
1970 et jusque dans les années 1980, notamment au titre
du regroupement familial.
Tout au long des années 1980 et 1990 la Norvège
a également enregistré des flux migratoires importants.
Il ne s'agissait plus d'importation de main-d'¦uvre,
mais
en pratique d'¦uvrer en matière de droits de l'homme.
Les immigrants de cette période étaient principalement
des réfugiés politiques en provenance de pays tels
que le Chili de Pinochet, l'Iran de Khomeiny, le Sri Lanka en
proie à la guerre civile,
le Viêt Nam, le Kurdistan
turc, la Somalie et l'ex-Yougoslavie.
Vers une politique d'intégration norvégienne
L'immigré
au sens strict est une personne née dans un pays autre
que celui dans lequel il ou elle vit. De ce point de vue, les
Suédois, les Britanniques et les Nord-Américains
qui vivent en Norvège sont des immigrés au même
titre que les Pakistanais et les Kurdes. La plupart des immigrés
en provenance d'autres pays riches qui constituent la moitié
environ de la population immigrée, à savoir à
peu près 100 000 personnes sont arrivés en
Norvège soit comme étudiants,
soit par leur mariage
avec des citoyens norvégiens, soit encore en raison d'une
compétence particulière. Ces personnes ne sont pas
considérées comme des immigrés par l'opinion
publique norvégienne et seront donc exclues de notre étude.
La situation matérielle des immigrés est très
variable. La première vague d'immigration, en provenance
de pays tels que le Pakistan et la Turquie, se composait en grande
partie de jeunes gens sans formation particulière. La majorité
des immigrés pakistanais de Norvège sont d'ailleurs
originaires d'un petit groupe de villages proches de Lahore, au
Pendjab pakistanais. Ces groupes sont établis principalement
dans la région d'Oslo (la ville de Drammen comprise) où
ils ont un logement, une famille et un emploi. Ils disposent d'un
ensemble d'associations, de communautés religieuses, de
réseaux de parenté, de publications et autres éléments
qui leur confèrent un solide ancrage social. Nombre d'entre
eux ont des enfants qui sont en passe de devenir adultes, et ont
habité toute leur vie en Norvège.
Au départ, la situation des réfugiés se distinguait
de celle des travailleurs immigrés. Nombre d'entre eux
arrivèrent seuls en Norvège, furent internés
dans des foyers d'accueil pour réfugiés, souvent
très éloignés du centre urbain le plus proche,
et beaucoup d'entre eux eurent et ont toujours d'énormes
difficultés à trouver un logement et un emploi.
Certains de ceux qui avaient fui l'oppression politique attendirent
la première occasion de pouvoir retourner au pays et ne
prirent jamais racine en Norvège. Pour d'autres, l'installation
en Norvège fut l'occasion d'un nouveau départ. De
façon générale, les réfugiés
sont beaucoup plus diplômés que les travailleurs
immigrés, qui, dans la plupart des cas, arrivaient de leur
village natal.
La politique d'asile norvégienne est très controversée.
Certains pensent qu'elle est trop sévère, d'autres
estiment qu'elle est trop « généreuse ».
À certaines périodes, comme par exemple pendant
la guerre civile en Yougoslavie, la Norvège a accueilli
de nombreux réfugiés ; à d'autres périodes
elle en a accueilli très peu. En pourcentage, la Norvège
compte un nombre d'immigrés et de réfugiés
bien inférieur à ce que l'on enregistre en Suède,
à peu près autant qu'au Danemark, et bien plus qu'en
Finlande et en Islande.
Comme dans d'autres pays européens, l'immigration vers
la Norvège a fait naître de nouveaux défis
politiques et sociaux.
La construction de la nation norvégienne
et le développement de l'état providence au XXe
siècle reposaient en grande partie sur la similarité
culturelle comme fondement de la nation. Pour beaucoup d'individus,
ce n'était pas la citoyenneté,
mais une histoire
et une origine communes qui permettaient de définir la
communauté nationale. Dans les premières années
de l'arrivée de travailleurs immigrés en Norvège,
beaucoup de Norvégiens tablaient sur le fait que les «
travailleurs invités » retourneraient dans leur pays
d'origine au bout de quelques années. Nombre d'immigrés
en avaient sans doute l'intention,
mais peu d'entre eux le firent.
Au cours des années 1980, il devint clair que la Norvège
avait désormais des minorités permanentes, constituées
d'individus d'origine extra-européenne. Leur apparence
différait de celle des citoyens norvégiens de souche
ethnique norvégienne, et s'en distinguait d'un point de
vue culturel dans des domaines essentiels. Il devint nécessaire
de mettre en place une politique d'intégration. Idéalement
parlant, l'intégration se distingue à la fois de
l'assimilation et de la ségrégation. L'assimilation
implique que les minorités deviennent progressivement culturellement
identiques à la majorité et qu'elles s'y fondent.
La ségrégation est le phénomène inverse,
et signifie que les groupes sont strictement séparés,
comme ce fut le cas en Afrique du Sud durant l'apartheid. L'intégration
signifie en revanche que l'on participe aux affaires communes
de la société vie professionnelle, école,
politique mais que l'on conserve le droit d'avoir une culture
différente de celle de la majorité.
Discrimination et racisme
Les
nombreux défis sociaux consécutifs à l'immigration
peuvent être répartis
en deux groupes : les problèmes
liés à la discrimination et au racisme,
et les problèmes
liés aux différences culturelles.
En ce qui concerne la discrimination, il ne fait aucun doute qu'elle
est encore largement répandue. Il existe des preuves bien
établies qui montrent que les immigrés ont plus
de problèmes que les autres à trouver un emploi
et un logement, et que nombre de discothèques et de boîtes
de nuit refusent de laisser entrer des gens qui ont l'air de venir
de pays non européens. Il s'est même avéré
que des personnes qui avaient changé de nom, en abandonnant
par exemple un nom à consonance arabe pour adopter un nom
à consonance occidentale, se sont soudain vues convoquer
à des entretiens d'embauche pour la première fois
de leur vie.
En outre, il a également été
prouvé que la police accorde un traitement différent
aux individus en fonction de leur apparence. Les personnes qui
n'ont pas l'air norvégiennes encourent par exemple le risque
d'être arrêtées dans la rue par la police pour
un contrôle d'identité. Une chose pareille n'arriverait
jamais à un immigré à peauclaire,
originaire d'Allemagne par exemple.
Il existe un certain nombre d'organisations dont la vocation est
de défendre le droit des immigrés à un traitement
égal. En 1998, l'état a institué un Centre
national contre la discrimination ethnique (Senter mot Etnisk
Diskriminering),
mais ce sont encore des associations bénévoles
(ONG) telles que le Centre antiraciste (Antirasistisk Senter)
et l'Organisation contre la discrimination des pouvoirs publics
(Organisasjonen mot Offentlig Diskriminering OMOD)
qui sont
les principaux acteurs du débat sur les droits des minorités.
Il existe en Norvège, comme dans d'autres pays d'Europe
septentrionale,
des groupes d'extrême droite. Ces groupes,
qui appellent périodiquement à user de violence
« pour rendre à la Norvège sa blancheur »,
ont en fait très peu d'affiliés, mais ils suscitent
une grande crainte dans certains milieux immigrés. Des
partis plus proches du centre se sont servi de la critique à
l'encontre des immigrés comme composante de leur stratégie
lors des campagnes électorales, à commencer par
Fremskrittspartiet (Le Parti du progrès), qui était
dans les années 1990 l'un des trois plus grands partis
de Norvège.
Différences culturelles
La
discrimination constitue un obstacle important aux possibilités
d'intégration des minorités dans la société
norvégienne. Lorsque les immigrés ne sont pas traités
à égalité avec les autres citoyens, il leur
est naturellement difficile de se sentir chez eux dans le pays.
L'autre type de problèmes, qui a trait à la culture,
est politiquement plus difficile à appréhender.
Il n'existe aucun parti qui affirme s'opposer à ce que
les immigrés soient traités sur un plan d'égalité
avec les autres citoyens, bien que l'écart entre la théorie
et la pratique puisse être grand.
Bon nombre des immigrés de Norvège (environ 70 000)
sont musulmans. Plus nombreux encore sont ceux qui ont une autre
langue maternelle que le norvégien. Par leur façon
de vivre, leurs valeurs et leurs us et coutumes, certains groupes
d'immigrés se distinguent également de la majorité
des Norvégiens ethniques. Beaucoup d'immigrés sont
originaires de sociétés fortement dominées
par les hommes, où les hommes règnent sur les femmes
et les pères sur leurs enfants. Ces valeurs, qui sont largement
répandues sur une grande partie de la planète, entrent
en conflit avec la pensée égalitaire norvégienne.
Beaucoup diraient même que la Norvège est un pays
où l'on est obsédé par l'égalité.
Il doit donc sembler d'autant plus étrange aux immigrés
de constater qu'ils ne bénéficient pas du traitement
égalitaire auquel ils ont droit.
Le partage des rôles entre les sexes, tel qu'on le conçoit
en Norvège, est marqué par une plus grande égalité
entre les hommes et les femmes que dans la plupart des autres
pays. L'objectif politique affiché, dont Arbeiderpartiet
(le Parti travailliste) et Sosialistisk Venstreparti (le Parti
socialiste de gauche) se font plus particulièrement l'écho,
est que les hommes et les femmes doivent avoir les mêmes
possibilités en termes d'éducation et d'emploi.
Le mariage est fondé sur le libre choix du partenaire,
et la plupart des gens pensent aujourd'hui qu'il est acceptable
de vivre ensemble sans être mariés. La monogamie
successive, c'est-à-dire le changement de partenaire au
bout de quelques années, est courante. Les deux partenaires
sont responsables de l'éducation des enfants, qui, en Norvège,
est libérale. Les droits des enfants sont à l'ordre
du jour politique depuis une vingtaine d'années, et des
valeurs telles que l'indépendance et la liberté
sont privilégiées tant à la maison qu'à
l'école.
Parmi les nombreux immigrés installés en Norvège,
en particulier chez les personnes originaires d'Asie occidentale
et du sous-continent indien, c'est un autre système de
valeurs qui prévaut. Le mariage est conclu après
un accord passé entre les deux familles, il dure toute
la vie et le mari est l'autorité suprême dans la
famille. Idéalement, la femme doit rester à la maison,
et elle est responsable aussi bien des tâches ménagères
que de l'éducation des enfants.
C'est surtout le système des mariages arrangés qui
a mis en Norvège les esprits en ébullition ; et
il est indéniable que ce système se heurte à
la pensée égalitaire et à l'individualisme
norvégiens. Les mariages arrangés ne sont pas interdits
dans notre pays, encore que les mariages forcés le soient.
Mais il est évident que dans une société
où beaucoup de parents pour ne pas dire la plupart
d'entre eux poussent un soupir de soulagement lorsque leurs
fils et filles quittent enfin le nid à l'âge de 19
ou 20 ans, on rencontre peu de compréhension pour une idéologie
qui place la famille avant l'individu !
La langue et l'enseignement de la langue constituent un autre
sujet de controverse. Tandis que certaines personnes pensent que
le norvégien doit être la seule langue d'enseignement
à l'école, d'autres estiment que les enfants d'origine
étrangère ont droit à un enseignement dans
leur langue maternelle en même temps qu'ils suivent l'enseignement
en norvégien. Dans les communes qui comptent beaucoup d'immigrés,
l'enseignement de la langue maternelle se décline parfois
en plusieurs dizaines de langues, du farsi au somali. Le fait
de savoir si cet enseignement facilite l'intégration des
élèves est une question complexe à laquelle
les experts n'ont aucune réponse univoque.
La religion est également un sujet de controverse. Les
musulmans norvégiens ont longtemps souhaité construire
des mosquées dans les agglomérations où vivent
de nombreux musulmans (principalement à Oslo et à
Drammen), mais ils se sont heurtés à une forte opposition.
À Drammen, le conseil municipal rejette même régulièrement,
depuis 1975, la demande de permis de construire une mosquée.
Oslo a maintenant sa grande mosquée d'architecture arabe.
La question de savoir dans quelle mesure la communauté
pourrait se voir reconnaître le droit d'appeler à
la prière par le biais de haut-parleurs anima longtemps
le débat local. Les partisans de l'appel public à
la prière soulignaient qu'il n'existe pas d'interdiction
de faire sonner les cloches des églises. La question est
désormais tranchée, les autorités ayant décidé
que l'appel à la prière est autorisé au même
titre que les carillons.
égalité ou différence
?
Dans
les domaines évoqués ci-dessus et dans d'autres,
la frontière humaine passe entre ceux qui considèrent
qu'une intégration réussie est synonyme de l'égalité
la plus large possible et ceux qui estiment que l'une des conditions
de l'intégration est le droit à la différence.
Les seconds s'appuient sur le fait que les minorités qui
sont privées de la possibilité de préserver
des aspects essentiels de leur héritage culturel ne se
sentiront jamais citoyennes à part entière de leur
pays d'adoption.
Il s'agit là d'une problématique complexe à
laquelle il n'existe pas de solution simple. Si l'on accorde
aux minorités des droits culturels étendus,
l'on risque de laisser passer des violations des droits de
l'homme, et de permettre à des dirigeants communautaires
qui font autorité d'empêcher la participation
pleine et entière de leurs congénères
à la société norvégienne. Si,
à l'inverse, on refuse de reconnaître les différences,
on court le risque que les minorités ne se sentent
pas respectées et qu'elles se voient forcées
d'adopter une culture « norvégienne » qui
ne les intéresse pas. Et
même parmi les immigrés, les avis sont aussi
partagés quant à la meilleure politique d'intégration
à adopter. On y trouve à la fois des «
modernistes » favorables à la libération
de la femme et autres valeurs modernes, et des traditionalistes
qui insistent pour transmettre les valeurs traditionnelles.
Si l'on souhaite une intégration réussie, il
est indispensable de trouver un équilibre entre le
droit à un traitement égal et le droit à
la différence. La législation norvégienne
prescrit l'égalité de tous quant au droit à
l'emploi et à l'éducation, et rares sont ceux
qui en Norvège défendent publiquement un traitement
différencié sur le marché de l'immobilier
et en matière de loisirs. La liberté de culte
est également inscrite dans la loi en d'autres
termes, il s'agit d'un domaine où les différences
doivent être acceptées en vertu de la législation
en vigueur et l'on a le droit d'avoir en Norvège
une autre langue maternelle que le norvégien.
Au cours des deux à trois dernières décennies,
les représentations classiques de la Norvège et
de ce que le fait d'être norvégien signifie ont été
remises en cause. Ce changement doit beaucoup à la société
multiethnique. Il ne va plus de soi que « norvégien
» signifie la même chose qu'identique d'un point de
vue culturel. L'intégration des minorités suppose
l'égalité dans certains domaines, mais pas dans
tous. Quels sont les types de différences acceptables et
quels sont ceux qui rompent avec les valeurs les plus fondamentales
de la société
?
L'immigration et le débat sur l'intégration ont
eu pour effet secondaire d'ouvrir les yeux de nombreuses personnes
sur les variations importantes qui existent au sein de la population
norvégienne « autochtone ». Il existe de profondes
divisions entre Norvégiens ethniques en matière
de religion, de mariage, d'éducation des enfants
et même en matière linguistique, où le conflit
entre les variantes de la langue, à savoir le norvégien
normalisé (bokmål), le norvégien classique
(riksmål) et le néo-norvégien (nynorsk), demeure
encore vif. Cette constatation devrait servir à rappeler
qu'une uniformité totale n'est pas nécessaire pour
créer une communauté nationale.
Deuxième et troisième générations
L'histoire
de la Norvège en tant que pays d'immigration est bien plus
brève que celle de la Grande-Bretagne ou de la France,
qui, grâce à leur histoire coloniale, ont connu un
afflux extérieur de population pendant plusieurs générations.
À la différence de pays tels que les Pays-Bas et
l'Italie, la Norvège (à l'exception de Bergen, en
partie) n'a jamais été non plus une plaque tournante
du commerce international.. Ceci explique la nouveauté
de la situation actuelle. La Norvège a peu d'expérience
historique sur laquelle s'appuyer pour prendre en main les minorités
immigrées, et l'immigration extra-européenne a réellement
conduit à des modifications de la société.
Dans ce contexte, il y a lieu d'envisager l'avenir avec optimisme.
Bien que l'égalité parfaite entre immigrés
et Norvégiens ethniques ne soit pas encore une réalité,
et bien que tant les Norvégiens que les immigrés
soient coresponsables des conflits qui surgissent, tout le monde
s'accorde aujourd'hui à dire que les immigrés sont
implantés en Norvège pour y rester. Il ne fait par
ailleurs aucun doute que leur culture et leur manière de
vivre se sont modifiées, parfois très profondément,
depuis leur arrivée. Ce changement est flagrant chez les
enfants des immigrés, qui, au sens strict, devraient être
appelés Norvégiens de première génération,
mais qui sont néanmoins connus comme immigrés de
deuxième génération.
Parmi ceux qui sont nés de parents immigrés et ont
grandi en Norvège, beaucoup sont aujourd'hui de jeunes
adultes. Plusieurs d'entre eux se sont fait remarquer du public
en tant que jeunes militants de partis politiques, polémistes,
auteurs, animateurs de télévision, etc. Très
récemment, nous avons même découvert notre
premier humoriste d'origine pakistanaise, et il s'agit de surcroît
d'une jeune femme. Cette génération se distingue
fortement de celle de ses parents, et dans plusieurs domaines.
Les jeunes parlent le norvégien sans accent et peuvent
par conséquent difficilement être classés
comme « exoculturels » par les opposants à
l'immigration. Ces jeunes connaissent parfaitement la société
norvégienne et savent mieux que leurs parents comment promouvoir
leurs droits et leurs intérêts. Ils connaissent «
les deux mondes », ce qui crée aussi des problèmes
spécifiques pour l'ensemble du groupe. D'un côté,
les jeunes entendent dire depuis leur plus tendre enfance de la
part des Norvégiens qu'ils sont « différents
», alors que parallèlement ils ne connaissent aucune
autre patrie. De l'autre, ils subissent souvent la pression de
la génération de leurs parents pour rester fidèles
aux valeurs traditionnelles et ne pas devenir « trop norvégiens
». Des sondages semblent indiquer que conformément
à ce que l'on attendait de nombreux individus de
la deuxième génération tentent de tirer le
meilleur parti de ces deux
mondes
: liberté individuelle et égalité de traitement
inculquées par la société norvégienne,
en même temps que la sécurité et l'héritage
culturel de leurs parents et leur pays d'origine. Beaucoup de
jeunes continuent à être des musulmans pratiquants,
à parler le panjabi ou une autre langue à la maison,
et à respecter les us et coutumes traditionnels, tout en
exigeant de pouvoir être des membres à part entière
de la société norvégienne.
Une intégration réussie doit offrir aux individus
la possibilité de recevoir le meilleur des deux mondes,
et non le pire. Les destins individuels sont tous différents,
et il est facile à l'heure actuelle de trouver des exemples
des deux types. L'épreuve de vérité qui permettra
de vérifier si la Norvège réussit à
intégrer les immigrés, sans les mettre à
l'écart ni effacer leurs spécificités par
la contrainte, sera celle de la deuxième génération
et de ses enfants. Si ces derniers ne sont pas non plus traités
à égalité avec les Norvégiens autochtones
sur les marchés de l'emploi et de l'immobilier, la Norvège
aura, en pratique, mis en place un système de castes. Il
y a de bonnes raisons d'être optimiste, mais pour que l'intégration
soit réussie à long terme, les immigrés,
leurs enfants, les Norvégiens de souche et surtout
l'appareil étatique norvégien doivent être
prêts à faire un effort.